Les sociétés ont toujours utilisé l’encens, que ce soit dans les rites religieux, pour purifier des lieux liturgiques comme l’église ou lors d’une prière privée. L’art de l’encens a longtemps été considéré comme sacré et ses origines remontent à très loin dans le passé : de l’Egypte ancienne où on l’utilisait au processus de momification ; en Chine et en Inde où les médecins utilisaient les effets psycho-somatiques des parfums subtils de l’encens pour soulager et soigner ; dans la Grèce antique et dans les Eglises chrétiennes, l’encens était utilisé au cours de nombreux rituels et prières. L’encens se présentait essentiellement sous la forme d’une poudre et était considéré comme un produit de luxe. Ce n’est que bien plus tard que sa forme en bâtonnets a été créée, et très récemment qu’il est entré dans la vie quotidienne des Occidentaux.
L’encens est intimement lié à la spiritualité. L’encens brûlé durant un rituel religieux établit le lien entre la terre et le ciel. Les volutes de fumée élèvent les prières vers le ciel. L’usage de l’encensement, qui est universel, a partout la même valeur symbolique : il associe l’humain à la divinité, le fini à l’infini, le mortel à l’immortel.
L’encens à travers les civilisations
Texte de Jacques Deperne (Nouvelles Clés – Automne 1994)
Quoi de plus fascinant, de plus ensorcelant, que des volutes de fumée odorante qui s’élèvent vers le ciel ? L’offrande de l’encens crée le climat propice à l’élévation spirituelle.
« Il suffit d’installer un brûle-parfums pour que le Divin Empyrée soit présent », écrivait un Patriarche taoïste du XIIIe siècle. Elément essentiel du rite, le brûle-parfums a souvent occupé la place centrale des aires sacrées. Toutes les traditions religieuses du monde ont, semble-t-il, utilisé l’encens, brûlé sur l’autel pour favoriser la méditation, ou pour atteindre le Très Haut dans les circonvolutions de fumées en forme d’infini…
Aux premiers siècles de notre ère, l’Eglise était très réticente à la pratique des fumigations, qui rappelaient peut-être l’Ancienne Alliance des Hébreux. Au chapitre 30 de l’Exode, Yahvé parle en effet à Moïse en ces termes : « Tu feras un autel pour fumer l’encens…un encens aromatique…encens perpétuel devant Yahvé… » Et il précise que cet encens ne devra pas être profane, c’est-à-dire non conforme à la composition prescrite au verset 34 : de la résine, de l’ongle odorant (un parfum extrait de certains coquillages en forme d’ongle), du galbanum (de la gomme arabique) et des substances aromatiques, et Yahvé avertit Moïse au verset 37 : « Tu ne feras pas pour toi de parfum de cette composition réservée à Yahvé… » L’interdit est très sérieux au point d’être accompagné d’une sanction :« Quiconque en fera de semblable pour en respirer l’odeur, sera retranché d’entre les siens… » C’est dire l’importance du rite de l’encens et du respect des règles de son utilisation dans la tradition hébraïque. Rien ne prouve toutefois que ces références aux préceptes mosaïques aient été les seules raisons à l’origine des hésitations de l’Eglise de Pierre. Les souvenirs récents des persécutions des chrétiens par la Rome païenne ont vraisemblablement joué un rôle beaucoup plus important. Il faut rappeler que sous certains empereurs, les chrétiens qui voulaient survivre reniaient leur loi en brûlant de l’encens devant une idole, geste symbolique de leur apostasie. On les appelait d’ailleurs les « Thurificati », de « thurus » qui signifie encens, racine de « thuriféraire », le nom du clerc chargé de l’encensoir, un mot qui prendra le sens figuré de « flatteur »…
Dès le IVe siècle, les chrétiens sont revenus sur leur position, se souvenant des Rois Mages porteurs de l’or, de la myrrhe et de l’encens, et de l’Apocalypse qui « révèle » que « la fumée des parfums montera de la main de l’Ange vers Dieu ». Lentement, le rite de l’encens a été introduit dans les cérémonies. Son emploi est largement répandu pour les services religieux, la consécration des églises, les processions, les funérailles. L’oliban (l’huile du Liban), la myrrhe et le benjoin ont été les ingrédients les plus utilisés par les catholiques et les orthodoxes. Les protestants ont abandonné cette pratique depuis la Réforme.
L’Egypte ancienne était experte dans l’art de préparer et d’employer l’encens, notamment le célèbre Kyphi dont Plutarque disait qu’il « avait le pouvoir de conduire vers le sommeil, d’éclairer les rêves, d’apaiser les tensions de l’anxiété quotidienne (déjà !), en amenant calme et quiétude à tous ceux qui le respirent… » Composé de matières thurifères en provenance d’Arabie, le Kyphi comprenait 16 parfums, huiles et essences, mélangées dans le secret selon un rituel de préparation très précis. L’asphalte, un bitume à état natif, entrait dans cette fabrication.
Les Grecs appréciaient la douce fragrance des parfums brûlés qui plaisaient aux Dieux et qui rendaient plus réceptifs. Rendre plus réceptifs, n’est-ce pas le rôle primordial de l’encens ? L’odorat est devenu un sens souvent réprimé, alors qu’en l’éveillant et en le purifiant, nous deviendrions peut-être, comme l’affirme Montaigne dans ses Essais : « […] plus propres à la contemplation ».
Moins raffinée ou en tout cas différemment réceptive, la Rome antique associait l’encens et le vin au sacrifice des animaux – n’en déplaise à Racine qui fait dire à Agrippine : « Qu’un peu d’encens brûlé rajuste bien des choses ».
Très prisées en Orient, les fumigations accompagnent toutes les cérémonies rituéliques de l’hindouisme, du bouddhisme, du taoïsme. Le bois de santal est l’encens de base, sous la forme de batônnets ou de grains qui sont jetés sur des charbons de bois incandescents. L’emploi de l’encens est très répandu dans la tradition tibétaine. L’offrande de l’encens est vécue intensément, tant le geste rappelle la non-réalité (l’illusion) de tous les phénomènes. Le culte taoïste a fait des brûle-parfums le symbole le plus important de la communauté, emblème de l’unité sociale par le partage de l’encens.
L’éventail de variétés des encens, qu’ils soient indiens, tibétains, japonais, africains ou provençaux devrait, avec un peu de discernement, satisfaire les plus exigeants.
Symbolique de l’encens
Extrait : Ecole Lyonnaise de plantes médicinales /1994
Ne suffit-il pas d’assister à une cérémonie religieuse pour éprouver, même contre son gré, la magie de l’encens ? ses volutes bleutées qui emplissent le sanctuaire le purifient, ainsi que le prêtre et les assistants. Elles montent vers le ciel, telle l’offrande qui lui fût de tout temps destinée.
Depuis l’antiquité la plus reculée, toutes les religions ont utilisé l’encens. D’ailleurs, religion et encens ne peuvent être séparés. Religion du latin religio (vénération) et relegere (relier) est un mot qui exprime le lien entre les hommes et Dieu. L’encens brûlé durant un rituel religieux établit le lien entre la terre et le ciel, portant les prières au ciel.
Le symbolisme de l’encens relève à la fois de celui de la fumée, du parfum et des résines incorruptibles qui servent à le préparer. Les arbres qui le produisaient ont parfois été pris comme symboles du christ.
La fumée d’encens est chargée d’élever la prière vers le ciel et il est, en ce sens, un emblème de la fonction sacerdotale. L’usage de l’encensement, qui est universel, a partout la même valeur symbolique : il associe l’humain à la divinité, le fini à l’infini, le mortel à l’immortel. Il n’y a pas tant de différences, en ce sens, entre la fumée du bûcher funéraire, celle du copal maya, de l’encens chrétien et du tabac chez les amérindiens.
Les anciennes croyances égyptiennes, comme tant d’autres modernes ou non, témoignent de la merveilleuse odeur des dieux. Aujourd’hui nous l’appelons « odeur de sainteté » ; de nombreux canonisés avaient la réputation de répandre une douce odeur lors de leur mort. « A tous ceux qu’il aime et plus particulièrement aux morts, Isis transfère son odeur, ainsi que le faisait Osiris ». Ainsi, l’odeur de l’encens est donc un des parfums des dieux. Il semblerait même que l’encens ait été emporté par Adam du jardin d’Eden.
Les mayas, bien des siècles avant que les européens ne les découvrent, se servaient d’un encens, le copal. selon leur livre sacré, le Popol-Vuh, il fut extrait de l’Arbre de Vie par une divinité chthonienne (qui est une sorte de titan venant de l’intérieur de la terre) qui offrit aux hommes, comme son propre sang, cette sève rouge qui se coagule à l’air. Pour les mayas, le copal était la résine céleste ; sa fumée se dirigeant d’elle-même vers le milieu du ciel était l’émanation de l’esprit divin.
Les égyptiens étaient passés maîtres dans l’art de préparer et d’employer l’encens. La fabrication était un acte sacré effectué lors d’un rite secret, durant lequel les pratiquants psalmodiaient des textes sacrés. Ce rite remplissait une mystérieuse fonction d’ordre et d’harmonie et chargeait certainement le produit d’une force supplémentaire, inexistante dans les produits fabriqués ou traités industriellement.
Le plus célèbre des encens égyptiens est le Kyphi. La combustion des différentes variétés d’encens formait une partie importante des rites car chaque ingrédient était doté de propriétés magiques et mystiques bien spécifiques. Lors de l’adoration du dieu soleil Râ, les égyptiens brûlaient trois fois l’encens en son honneur tout au long de la journée.
Les hindous ont toujours été de grands amateurs d’odeurs suaves et de tout temps, l’Inde a été célébrée pour ses parfums. Très tôt, ce pays importa des matières thurifères en provenance d’Arabie. Toutefois, l’emploi de substances odoriférantes telles que le benjoin ou autres gommes-résines, graines, racines, fleurs séchées et bois aux douces senteurs remonte plus loin encore. L’un des ingrédients sans doute le plus populaire et depuis toujours le plus exporté est le bois de santal.
La sybille hindou de Kush s’aide de plantes et des herbes sacrées pour atteindre cet état temporaire d’inspiration divine. Après avoir placé une étoffe sur sa tête, elle inhale leur fumée. Elle est alors saisie de convulsions et tombe inanimée sur le sol. dans cet état, elle émet ses prophéties.
Dans l’hindouisme moderne, l’emploi de l’encens est assez fréquent. le culte de Shiva recommande aux prêtres d’en brûler quotidiennement devant la statue du dieu Orissa ou sur une pierre le représentant. Devant l’image de Krishna, sont brûlés le camphre et l’encens. L’encens est, dans le rituel hindou, en rapport avec l’élément Air. Il est dit représenter la perception de la conscience qui y est partout présente.
Les nombreuses références à l’encens dans l’Ancien Testament démontrent clairement que son emploi dans le rituel juif remonte à la nuit des temps. des érudits estiment que l’encens était déjà employé dans le rituel judaïque au septième siècle avant notre ère. Une fois adoptée, cette pratique ne fit que s’amplifier au cours des siècles. Le premier encens n’était composé que de très peu d’ingrédients tels que stacte, onyx, galbanum… Sa préparation par les prêtres était considére avec le même respect que celle du kyphi des egyptiens. Dans l’exode 30, 34-38, il est écrit « la fabrication du parfum sacré : Le seigneur dit à Moïse, procure-toi des substances odorantes, storax, onyx, galbanum. Ajoutes-y une quantité égale d’encens pur. Un parfumeur les mélangera avec du sel…. »
…Pour les grecs et les latins aussi, l’encens ne pouvait avoir qu’une origine mythologique. Selon une fable rapportée par Ovide dans ses Métamorphoses, l’encens serait né de l’union du soleil et de Leucothoé, fille d’Orchamos, roi des Perses et suzerain du pays des aromates. Aphrodite embrasa de désir l’astre impassible afin de se venger de celui-ci qui avait dévoilé ses nombreuses infidélités. Orchamos, découvrant que Phoebus était devenu l’amant de sa fille, voulut la soustraire définitivement à cette passion. A la tombée du jour, il fit enfouir la malheureuse dans une fosse profonde que l’on recouvrit de sable. Au matin, lors de son sur la terre, le soleil éperdu chercha Leucothoé; quand enfin il la retrouva, il voulut la réchauffer de ses rayons, mais il était trop tard. Alors, désespéré, Phoebus répandit sur le corps inanimé un nectar divin, en faisant à son amante cette promesse : « Malgrè tout, tu monteras au ciel ». Aussitôt jaillit du sol le premier arbre à encens. D’un corps promis à la décomposition, le dieu avait fait un aromate destiné à relier le ciel et la terre…
…Pour les bouddhistes, l’encens servait non seulement lors de cérémonies initiatiques des moines, mais également lors de rites quotidiens du monastère et du clergé local. Offert pour obtenir l’aide des bons esprits, son emploi s’intensifie lors des festivals où des nuages d’encens emplissent l’atmosphère, à l’occasion de baptêmes, d’exorcismes et autres cérémonies. Encens et parfums forment l’une des cinq offrandes sensorielles, qui est une des sept étapes d’adoration.
Pour les bouddhistes japonais, l’usage de l’encens est très courant et il a ainsi influencé le culte japonais, le shinto.
Les chinois recommandent d’en brûler avant de consulter les dieux. L’encens joue également un rôle important lors des cérémonies et des processions funéraires où il agit comme désinfectant et représente le cadeau offert au sens olfactif de l’âme en partance.
A Canton, durant la troisième semaine du douzième mois, on procède à un grand nettoyage de la maison et la fumée de trois bâtonnets d’encens chasse le démon de la pauvreté.
Les romains utilisaient l’encens régulièrement avant et durant leurs sacrifices. Il fut également lié aux exécutions perpétrées sous le règne de l’empereur Decius qui persécuta les chrétiens sans répit. L’encens devint en effet le symbole du chrétien reniant sa foi, qui, pour ce faire, devait brûler quelques graines d’encens devant une idole ou devant l’epereur lui-même…
Certainement pour cette raison, la chrétienté fut lente à adopter l’encens dans ses rites. Pourtant, l’or, l’encens et la myrrhe se placent en tant que symboles de prédiction de l’être et de la vie de l’enfant jésus. Ainsi, les rois mages apportèrent de l’or pour symboliser le soleil, le père ou la force du père, ils apportèrent l’encens pour symboliser le fils, le lien entre l’incarné et de divin, le sacrifice, la souffrance et la purification et ils apportèrent de la myrrhe pour symboliser le saint-esprit, l’éternel…
Sources :
Jacques Deperne (Nouvelles Clés- Automne 1994)
Extrait : Ecole Lyonnaise de plantes médicinales /1994
Art de l’encens, Gilles Mathiot